LE PROCES COSTES

JUGEMENT

Ce jugement a ete rendu par
la Premiere Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris
le 10 juillet 1997


"Demandeur :
-L'union des etudiants juifs de france (uejf) ayant son siege social 27 ter avenue Lowendal, 75015 Paris, agissant par son representant statutaire, Mademoiselle Vanessa Bressler, presidente du bureau executif national, domiciliee au siege en cette qualite.
Representee par Maitre Stephane Lilti, Avocat, C.1133.

Defendeurs :
-Monsieur Jean-Louis Costes
13 quai du square, 93200 Saint-Denis
represente par Maitre Thierry Levy, Avocat, C.179.
-Monsieur Valentin Lacambre
exercant sous l'enseigne Altern B, 119 rue Saint Denis, 75011 Paris
represente par Maitre Gerard Bigle, Avocat, P.298.

Intervenant volontaire :
-L'association des utilisateurs d'internet, ayant son siege 40 quai de jemmapes, 75010 Paris, representee par sa presidente Madame Meryem Marzouki, domiciliee en cette qualite au dit siege
representee par Maitre frederique de ridder, Avocat, B.649.

MINISTERE PUBLIC
Monsieur Dillange, Premier Substitut.

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Magistrats ayant delibere :
Monsieur LACABARATS, president,
Madame TAILLANDIER, Vice-President,
Madame MENOTTI, Juge.

GREFFIER
Madame COGNASSE.

DEBATS
a l'audience du 11 juin 1997, tenue publiquement.

JUGEMENT
-prononce en audience publique
-contradictoire
-susceptible d'appel

Le 8 avril 1997, l'union des etudiants juifs de France a fait delivrer contre Jean-Louis Costes et Valentin Lacambre une assignation a jour fixe devant ce Tribunal.
elle reproche a Jean-Louis Costes, auteur-compositeur et interprete de chansons appartenant au genre "rock alternatif", d'avoir mis a la disposition du public sur le reseau Internet, trois textes a caractere outrageusement raciste, "Les races puent", "Blanchette, tapette a bicots", "Apprenez le caniveau aux bicots".
Considerant que ces faits catacterisent un trouble manifestement illicite, l'uejf demande au Tribunal d'enjoindre a Jean-Louis Costes, sous astreinte, de retirer de son site Web les ecrits susvises.
L'uejf reproche a Valentin Lacambre, en sa qualite de fournisseur d'hebergement, d'avoir permis la diffusion publique des ecrits incrimines, demande que le jugement a intervenir lui soit declare commun et, en tant que de besoin, qu'il soit condamne, sous astreinte, a rendre inaccessibles les ecrits sur le site qu'il heberge.
L'uejf, invoquant le caractere fautif de la mise a disposition du public d'ecrits racistes, sollicite enfin la condamnation solidaire des defendeurs a lui payer la somme de 1 franc a titre de dommages-interets par application de l'article 1382 du Code Civil et celle de 10.ooo F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procedure Civile.

Le 5 juin 1997, Jean-Louis Costes a fait signifier des conclusions tendant a voir constater la prescription de l'action ou la nullite de l'assignation et, subsidiairement, le mal fonde des demandes.
Jean-Louis Costes fait valoir en premier lieu que les faits evoques seraient constitutifs, selon le demandeur, d'une infraction a la loi du 29 juillet 1881 couverte par la prescription, les textes en cause ayant ete publies sur le reseau internet le 14 septembre 1996.
Il affirme egalement que l'assignation est nulle, faute de satisfaire aux exigences de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881.
Il soutient ensuite que les mesures d'interdiction demandees ne peuvent etre prononcees par les juges du fond et, sur la teneur de ses textes, qu'aucune faute ne peut lui etre reprochee des lors que son oeuvre constitue en realite un violent requisitoire contre le racisme comme l'explicite le texte "je hais les races" auquel l'utilisateur du site est renvoye.
Jean-Louis Costes sollicite l'allocation d'une somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procedue Civile.
Le 6 juin 1997, Valentin Lacambre a conclu au rejet des demandes presentees par l'uejf en soutenant que son activite de fournisseur d'hebergement est purement technique, qu'elle permet seulement le stockage des informations et est exclusive de toute communication de celles-ci, faite par le titulaire du site et le fournissuer d'acces.
Il ajoute qu'il ne lui appartenait pas d'apprecier le contenu des chansons litigieuses, d'operer une selection et de supprimer certaines d'entre elles contre la volonte de l'auteur.
A titre reconventionnel, Valentin Lacambre demande que l'uejf soit condamnee a lui payer la somme de 100 F de dommages-interets pour procedure abusive, a supporter le cout de diverses mesures de publication de la decision a intervenir, a payer la somme de 10.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procedure Civile.
Subsidiairement,Valentin Lacambre demande que Jean-Louis Costes, qui n'a pas use de la chose pretee en bon pere de famille, soit condamne a le garantir de toute condamnation prononcee et a lui payer la somme de 10.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procedure Civile.
Le 10 juin, l'uejf a fait signifier des conclusions en replique tendant a voir constater l'irrecevabilite de l"'exception" de prescription soulevee par Jean-Louis Costes.
Elle affirme a nouveau que la responsabilite de celui-ci repose sur trois principes fautifs : la mise a disposition d'ecrits a caractere raciste, la revendication personelle et l'apologie d'un crime raciste, la "resistance abusive" a toute modification de son site malgre les mises en demeure qui lui ont ete adressees.
Pour contester l'argumentation de Valentin Lacambre, l'uejf expose que constitue pour celui-ci une faute d'hebergement d'un site comprenant des ecrits racistes et anti-semites, l'absence de mise en garde du client et d'intervention pour rendre inaccessibles les informations incriminees.
Invoquant aussi les dispositions de l'article 1384 du code Civil, l'uejf fait grief a Valentin Lacambre de ne pas avoir exerce la surveillance de son propre serveur et affirme qu'il doit des lors repondre du dommage cause par le serveur dont il est proprietaire et dont il a conserve la garde.
Incriminant un autre texte intitule "Jap Jew", l'uejf demande que son retrait soit ordonne et que les defendeurs soient solidairement condamnes a lui payer la somme de 20.000 F a titre de dommages-interets.
L'uejf demande subsidiairement la designation d'un expert ayant notamment pour mission de definir le role et la fonction des differents acteurs de l'internet.
A titre infiniment subsidiaire, l'union sollicite une reouverture des debats pour debattre du delit de provocation a la haine raciale.

Le 11 juin, Jean-Louis Costes a fait signifier des conclusions de rejet des demandes nouvelles presentees par le demandeur, ainsi que des pieces complementaires les accompagnant, et a sollicitte le benefice de ses precedentes ecritures.
Sollicitant egalement le benefice de ses precedentes ecritures, Valentin Lacambre a, par conclusions du 11 juin 1997, conteste l'argument de l'uejf en soutenant a nouveau que sa prestation est essentiellement technique, qu'il est etranger a la mise en relation entre les istes et les utilisateurs, qu'aucune obligation de controle et d'intervention sur les informations hebergees ne lui est imposee, que Jean-Louis Costes avait exclusivement la garde du site cree par lui.
Le 11 juin 1997, l'association des utilisateurs d'internet a fait signifier des conclusions aux fins de voir declarer recevable son intervention volontaire accessoire aux cotes de Valentin Lacambre, pour s'associer aux moyens de defense de celui-ci.
Le 11 juin 1997, l'uejf a conclu a l'irrecevabilite de cette intervention et sollicite la condamnation de l'association au paiement de la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procedure Civile.
Les debats se sont deroules a l'audience du 11 juin 1997 a l'issue de laquelle l'affaire a ete mise en delibere au 10 juillet 1997.

SUR LA RECEVABILITE DE L'INTERVENTION VOLONTAIRE.
Attendu que l'intervention volontaire de l'association des utilisateurs d'internet doit etre declaree recevable des lors que l'association a pour objet notamment de defendre les droits des utilisateurs du reseau, que son intervention accessoire se rattache par un lien suffisant a l'objet de l'instance principale, que sa presidente a ete specialement habilitee par le bureau de l'association a inrevenir en justice dans le cadre de cette instance.

SUR L'OBJET DES DEMANDES.
attendu que dans la procedure a jour fixe, l'objet de la demande soumise a la juridiction saisie est determinee exclusivement par l'assignation dont la delivrance a ete autorisee par le President du Tribunal.
Attendu qu'en application de ce principe est irrecevable la demande nouvelle presentee par l'uejf dans ses conclusions du 10 juin 1997 pour le texte "Jap Jew" non vise dans l'acte introductif d'instance.

SUR LA REGULARITE ET SUR LE BIEN FONDE DES DEMANDES
Attendu que les textes incrimines sont les suivants :

"Blanchette, tapette a bicots"
"Blanchette tapette a bicots se fout du fromage blanc sur la gueule
pour faire croire qu'il est une blanche
mais en fait c'est un sale gros cu puant de negro
et les bicots qui savent pas ce que c'est que des blanches
ils paient pour enculer blanchette
parce qu'ils croient qu'elle est une blanche

mais en fait blanchette est une tapette a bicots
qui s'enduie la gueule de fromage blanc pour faire croire qu'il est une blanche
et les bicots tout contents enculent blanchette
ils croient que c'est une vraie blanche
mais en fait c'est une negresse qui s'est foutue du fromage blanc plein le cu

et les bicots aiment bien son cu plein de fromage blanc
ils croient que le fromage blanc c'est le jus du cu des blanches
mais en fait c'est que le fond de teint de blanchette tapette a bicots
qui pour se faire du pognon fait croire qu'il est une blanche
mais en fait c'est qu'un sale negro deguise en tapette a bicots
et les bicots tout contents l'enculent dans son fromage blanc

et de temps en temps un pauvre blanc perdu encule blanchette par erreur, quel malheur!

on devrait tuer blanchette tapette a bicots
le coincer dans un coin a plusieurs et l'empaler sur un saucisson ce pede a bicots
ca eviterait que les blancs bourres l'encule par erreur
prenant le fromage blanc pour le jus du cu epais de leur maman
quelle horreur!!!

"Apprenez le caniveau aux bicots"
"Les crottes de chiens dans la rue
c'est pas des crottes de chiens c'est des crottes de bicots
ils chient en cachette devant votre porte et contre la roue de votre caisse
ils font ca pour vous faire chier!

ah sale bicot accroupi, il chie contre ma bagnole
ah je l'ai vu depuis ma fenetre, je vais l'abattre ce sale bicot errant
a bas la s.p.a., la societe protectrice des arabes!

a la fourriere on leur fait manger de la merde de blancs
on ferait mieux de leur faire bouffer leur merde a ces bicots
apprenez le caniveau aux bicots!"

"Les races puent"
"Les negros puent du cu , ils s'essuient jamais le cu
les arabes puent de la gueule, ya plein de merde entre leur dents en or
les negros puent du cu et les arabes puent de la gueule
ils ne se lavent jamais et meme si on les lave de force ils puent encore
c'est la race qui pue!

ah je sens les races dans les rues
ah je sens leurs cus dans les frocs rapieces
ah je sens les cus mouilles sur les matelas taches
ah je sens les dents pourries entre les levres qui puent
ah je sens les pets au couscous, les rots aux merguezs
ah je sens sous les bras l'urine
c'est la race qui pue!

trop de bicots dans les rues, trops de negros dans le metro
trop de negresses accroupies dans les chiottes turcs chient a cote dans l'obscurite
s'essuient les doigts sur les murs et touchent la monnaie
et quand je prend la monnaie, je touche leur merde!

alors je veux plus toucher le fric,je le prend dans un plastic
je veux plus toucher le fric, il est plein de la merde des bicottes et des negresses
ahhh les bicottes et les negresses laissent leur merde sur le pognon alors je peux plus toucher le pognon
ahhh!!! c'est la race qui pue!

la pollution c'est pas les usines, la pollution c'est les bicots c'est les negros
la pollution c'est pas ma bombe a razer,la pollution c'est les pets des bicots c'est les pets des negros
c'est la race qui pue!

ah ca pue la vache qui rie!!

Attendu que le principe fondamental de la libre communication des pensees et des opinions implique que l'exercice de cette liberte ne soit limite que dans des cas suffisamment precis pour exclure l'arbitraire et permettre au citoyen de connaitre exactement les faits susceptibles de sanction; quen vertu de ce principe, lorsque la cause du dommage invoque dans la publication de propos constitutifs de l'une des infractions specialement definies par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberte de la presse, la victime ne peut se prevaloir des regles du droit commun de la responsabilite civile et le juge doit, si la demande est fondeesur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, restituer aux faits leur exacte qualification.
Attendu que, contrairement a ce que soutient l'uejf, Jean-Louis Costes peut, pour la protection du droit a la liberte d'expression qu'il revendique, invoquer tous les moyens de defense propres a assurer l'exercice de cette liberte et a ainsi un interet legitime a faire constater par la juridiction saisie, pour beneficier des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 garantissant notamment par des contraintes procedurales la libre communication des opinions, que la demande articule des faits qui correspondent a l'une des infractions prevues par la loi.
Attendu qu'a cet egard, sans que soit necessaire la reouverture des debats pour instaurer une discussion qui a deja eu lieu par conclusions verbales a l'audience de la procedue a jour fixe, il convient de relever :
- que les termes ou expressions "bicots", "sales bicots", "negros", "sales negros", "gros cul de negro" constituent materiellement des termes de mepris, des invectives ou des expression outrageantes au sens de l'article 29 alinea 2 de la loi du 29 juillet 1881.
- qu'en ecrivant (les bicots) "chient en cachette devant votre porte et contre la roue de votre caisse, ils font ca pour vous faire chier", "je vais l'abattre ce sale bicot errant", "trop de bicots dans les rues, trop de negros dans le metro", "la pollution, c'est pas les usines, la pollution c'est les bicots c'est les negros...la pollution c'est les pets des negros, c'est les pets des bicots...c'est la race qui pue", Jean-Louis Costes tient des propos qui par leur brutalite, sont de nature a caracteriser une exhortation a la haine ou a la violebce.
- que ni ces textes, ni le pretendu avertissement intitule "je hais les races" que peuvent consulter les utilisateurs du site internet ne comportent de denonciation explicite et immediatement comprehensible du racisme, avec des indications suffisamment claires pour permettre a chacun de savoir qu'il serait en realite invite a rejeter le comportement des racistes;
Attendu que dans ces circonstances, les propos denonces par l'assignation, qui visent des personnes ou des groupes de personne a raison de leur papparetenance a une race determinee, sont susceptibles de constituer les delits de provocation et injure prevus par les articles 24 alinea 6 et 33 alinea 3 de la loi du 29 juillet 1881; qu'il importe des lors de verifier la validite de l'acte de saisine du Tribunal au regard des dispositions de cette loi;
Attendu qu'il resulte de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, dont aucune disposition legislative n'ecarte l'application dans le cas d'une action exercee separement de l'action publique devant une juridiction civile, que l'assignation doit doit preciser et qualifier le fait invoque et indiquer la loi applicable a la demande;
Attendu qu'en l'espece, si l'assignation specifie les faits incrimines, constitues selon le demandeur par la diffusion d'ecrits "orduriers" exprimant une "provocation au racisme", elle ne mentionne pas en revanche les qualifications legales et les textes qui leur sont reellement applicables; que la violation d'une disposition imperative destinee a garantir le respect des droits de la defense revet un caracter substantiel et entraine la nullite de l'assignation;
Et attendu que l'uejf, au titre de l'article 1382 du Cide Civil, a l'encontre de Jean-Louis Costes et Valentin Lacambre, aucun autre fait, distincts de ceux ci-dessus examines, etant observe a cet egard que la participation du second defendeur a la diffusion des propos poursuivis pourrait seulement, si son caractere delibere etait etabli, constituer une complicite des delits susceptibles d'avoir ete commis;
attendu que, bien que ne pouvant etre acceuillie, la demande de l'uejf n'a pas ete presentee dans des conditions fautives et abusives; qu'il n'y a pas lieu des lors d'allouer a Valentin Lacambre des dommages-interets et les mesures de publication qu'il sollicitte;
Attendu qu'aucune circonstance ne justifie l'application au profit de ceux qui en font la demande des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procedue Civile;

PAR CES MOTIFS
Declare l'association des utilisateurs d'internet recevable en son intervention volontaire,
Constate que les faits incrimines par l'uejf sont susceptibles de constituer des infractions prevues par la loi du 29 juillet 1881,
Declare nulle au regard des dispositions de l'article 53 de cette loi l'assignation delivree le 8 avril 1997 par l'uejf a l'encontre de Jean-Louis Costes et Valentin Lacambre,
Declare irrecevable la demande nouvelle presentee le 10 juin par l'uejf,
Deboute l'uejf de ses autres demandes,
deboute Valentin Lacambre de ses demandes reconventionnelles,
dit n'y avoir lieu a application de l'article 700 du Nouveau Code de Procedure civile,
Condamne l'uejf aux depens.

Fait et juge a Paris le 10 juillet 1997



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