COSTES
Interviews en francais


INTERVIEW PAR CESARE PICCOLO POUR POW-WOW
fevrier 2000

Costes Musicien interactif et militant, producteur de films, créateur d'un site Internet, Costes a été mené devant les tribunaux à plusieurs reprises suite à des prises de position et provocations aux limites de l'acceptable.
Au nom de la loi, ce n'est pas si Net


Pourquoi es-tu attaqué ?

J'ai créé en 1996 un site internet (http://costes.org) pour informer sur mes activités artistiques (musique, films et spectacles). Sur ce site figurent des paroles de chansons de tous mes disques, dont des extraits du CD Livrez les blanches aux Bicots paru en 1989, et qui est une parodie très lourde et très crue des fantasmes racistes. Des associations anti-racistes (UEJF, Licra, Mrap et Ligue des droits de l'Homme), confondant représentation théâtrale du mal et crime réel, m'ont attaqué en justice afin d'obtenir l'interdiction de ces textes. J'ai gagné un premier procès contre elles en 1997 puis un second en 1998, le juge ayant estimé que les faits étaient prescrits (En effet, j'ai publié ces textes plus de trois mois avant le début de l'action judiciaire, or la loi de 1881 qui protège la liberté d'expression en France, stipule qu'un texte ne peut être attaqué que dans les trois mois suivant sa date de première publication). Ces associations ayant fait appel, j'ai été rejugé pour les mêmes faits en 1999, et là, le juge a contredit le premier jugement, estimant que des textes présents sur Internet ne sont jamais prescrits, car il s'agit d'après lui, de « publication continue ». Cette décision, qui va à l'encontre de la jurisprudence constante, permet de me poursuivre au fond lors d'un quatrième procès sans doute en 2000.


Au nom de quoi fais-tu cela ?

Au nom de moi, individu isolé dans son corps et sa pensée. Mon art n'exprime pas mes croyances et comportements réels. Il est la représentation sans fard de l'homme dans son époque, dans ses aspects les plus affreux comme les plus beaux. Le racisme n'est qu'un thème traité dans mon oeuvre parmi une infinité d'autres, et il me paraîtrait malhonnête d'éluder un « sujet sensible » par confort, alors qu'il est, ouvertement ou implicitement, fortement présent dans les têtes et les médias.


Quels sont les enjeux de tes procès ?

Il y en a plusieurs. Tout d'abord, évidemment, il y a la question classique, du rôle de l'art et de ses limites : ces associations anti-racistes estiment que la représentation du mal dans l'art pousse au crime et voudraient que le thème du racisme dans l'art soit traité d'un point de vue explicitement anti-raciste. Pour ma part, je refuse de faire de l'art « éducatif ». L'art visant à la promotion de « valeurs positives » réclamé par mes adversaires est typiquement l'art officiel des dictatures. L'art pour moi est la représentation sans message du monde, transcrite par un individu. C'est un témoignage sur la réalité humaine, un miroir du beau comme du laid, et pas un outil au service de la morale et de la propagande du pouvoir.
Ensuite il y a la question du contrôle de l'Internet : alors que l'expression sur les médias traditionnels est filtrée par l'autocensure exercée par les rédacteurs en chef et les directeurs de publication, sur le Web, n'importe qui peut s'exprimer sans dépendre de l'autorisation d'un intermédiaire. C'est une fantastique avancée de la démocratie, mais il est clair que cela menace bien des intérêts et des pouvoirs. En s'attaquant à un site atypique comme le mien, les partisans de la censure du Net espèrent établir une jurisprudence défavorable à la liberté d'expression qui permettra ensuite de s'attaquer à des sites plus conventionnels mais également dérangeants : sites culturels et médiatiques mettant à mal les monopoles des médias, des grands éditeurs, des majors de la musique…
Déjà l'arrêt de la cour d'appel de décembre 99, pris à propos de mon site, estimant que sur Internet, un contenu en ligne n'ait jamais prescrit, s'il devait être confirmé par la cour de cassation, serait un net recul de la liberté d'expression sur le Net et en général : un contenu quel qu'il soit (article de presse, livre, audiovisuel, radio, tract, paroles…) est prescrit trois mois après sa date de première mise à disposition au public selon la loi de 1881. Si la décision prise par le juge à mon procès est confirmée, l'ensemble de l'information et de la culture mise en ligne, tous les contenus de l'Internet, seront à tout moment et indéfiniment susceptibles d'être attaqués en justice, voire censurés. Ce serait un recul majeur du droit d'expression et une catastrophe pour les nouveaux sites culturels et médiatiques pas assez solides financièrement pour supporter les procès à répétition… et une bonne affaire pour les intérêts en place.
Enfin, il y a la question plus générale, et qui touche tout le monde, de la liberté d'expression : en France, cette liberté, contrairement à ce que croient la plupart, est strictement limitée : de nombreux sujets (drogue, pédophilie, pornographie, racisme...) ne peuvent être abordés qu'à condition d'adopter le point de vue dominant. L'expérience malheureuse de ces procès et de la persécution qu'ils engendrent m'a fait comprendre que ces limitations, à priori "raisonnables", peuvent servir de prétexte à une censure tous azimuts de l'information et de la culture qui brime tout le monde.



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