Costes (juillet 2003 - publié dans Cancer)
Perdant adoré de la guerre gagnée.
Cétait à la fin dun show en 2000...
Je suis sorti bourré en titubant et à poil de scène,
et toujours nu je suis sorti dehors...
Décembre, il gelait.
Poussé par la force mysterieuse qui anime les alcolos, jai marché dans la neige nu dans la banlieue de Dunkerque. Personne dans les rues pour se moquer de ma nudité,
sauf un chat qui sest enfui à la vue de ma queue.
Jai traversé nu gelé, mais sans peur du froid, le parking de lEuromarché au milieu des caisses volées désossées, et j'ai vu un ilot de jungle oubliée au bout du parking de l'hypermarché.
Aimanté par la jungle, jai marché vers la jungle qui grossissait dans ma vision de drogué. Jai titubé, je suis tombé, je me suis relevé, jai regardé :
Il y avait une grille rouillée et un vieux mur écroulé, le tout défendu par des ronces acérées.
Avec lintrépidité du défoncé, j'ai franchi le mur, la bite déchiquetée par les ronces. Je saignais mais je men foutais. Jétais animé par la foi du chevalier bourré.
Le mur franchi et les ronces vaincues, j'ai vu une croix et un christ nu couvert de glace
qui penchait vers ma queue en sang ses yeux de calcaire. Ses lourds yeux de calcaire tombèrent sur ma queue et ça fit boum dans ma tête.
Mon Dieu ! Cest quoi cette tête de Dieu prise dans les ronces et la glace ?!
Cétait un putain de Christ en croix au milieu dun ilot de jungle oublié au bout dun parking de supermarché.
Il ma regardé la queue dans les yeux crucifié comme un con. Je lai regardé crucifié ses yeux sur ma queue comme un con. On est restés comme deux cons, deux corps de craie incongrus plantés au bout dun parkingdlhypermarché. Pas un chat, tout le monde au chaud, sauf nous deux, Jésus et moi, pauvres cons nus gelés au bout de lhypermarché fermé.
Jésus et moi, et deux carcasses de caisses désossées.
Putain de trip !
Nous étions deux corps cons nus dans le froid et nous nous sommes compris.
Je me suis mis nu à genoux au pied de son beau corps gelé, et jai penché la tête sous sa tête penchée givrée.
Et jai eu le flash.
Jésus cest pas la foi la merde la Bible toute cette merde. Jésus cest le blanc, le celte, lécossais, le paumé. Jésus cest moi ! Cest ce quil reste en moi de lancien pouvoir des rois et de mille ans desclavage de tous les papas. Jésus cest lesclave fait Roi par la grace de sa foi en lui moi. Et jai pleuré, fasciné par le symbole du pouvoir blanc, un homme en croix, ému par la force de la faiblesse, moi miroir en croix.
Alors que tous les pouvoirs et toutes les religions de tous temps ont eu pour Dieu la force glorieuse, la plus puissante des religions et la plus cruelle des armées a pour symbole suprême un corps crucifié. Quel est ce mystère ? Qui résoudra cette énigme?
Mais je ne veux pas connaitre la solution.
Pourquoi les blancs exterminateurs adorent-ils un cadavre crucifié?
Pourquoi le perdant est-il le modèle du gagnant ?
Je ne veux pas savoir la raison.
Jen ai rien à foutre de savoir pourquoi les noirs adorent les Nike. Pourquoi les nains jaunes adorent le gras Boudha. Pourquoi Bonne-Maman embrassait le corps crucifié en pleurant la mort de son fils, de son frère, de son mari, morts à la guerre, eux aussi perdants adorés de la guerre gagnée.
Je veux rien savoir.
Je veux regarder Jésus de pierre yeux calcaire me regarder, et pleurer me laisser aller comme un petit bébé entre deux guerres, me reposer face à limage de la défaite, limage de la défaite qui me console de mes défaites et me donne le courage de retourner mourir à la guerre.
Cest parce que jai accepté de perdre que je vais gagner. Cest le secret des blancs. Cest le secret du corps crucifié. Il trompe lennemi avec sa faiblesse et il lextermine avec sa miséricorde.
Plein de reconnaissance, jai pleuré et adoré longtemps le corps nu crucifié dans le froid de la chapelle de jungle oubliée au bout du parking de lEuromarché.
Personne pour nous déranger, moi et Jésus, et on sest bien éclatés tous les deux nus dans lhiver de glace.
Au loin les flonflons de la fête... mais le mur de glace de ronce de drogue dalcool, dextasy de techno de rap dironie dincrédulité, de cynisme de lacheté de confort et domniscience satisfaite, nous protégeait très surement des intrus.
Tranquille enfin je me suis laissé geler nu à genoux les couilles la queue, et peu à peu tout le corps pris, dans la béatitude de la foi retrouvée et la perte de conscience.
Ca caillait grave. Il devait faire au moins moins quinze à Dunkerque cette nuit là. Et mes larmes ont ralenti en deux cascades de glace sur mes joues comme la cire des bougies sur livoire des crucifix.
Le symbole de la gloire, un paria, une merde, merde !
Le symbole du pouvoir, un homme sans aucun pouvoir, merde !
Le symbole de la défaite est le symbole du pouvoir, merde jy crois pas !
Le pape se ballade avec sur sa poitrine un cadavre, totale lhallu !
Je suis resté québlo grave bloqué congelé bourré nu en larmes face au Christ aux yeux de craie, et si ça continuait comme ça, demain matin les vigiles antillais de lEuromarché allait trouver un deuxième Jésus crevé à coté du premier !
Mais heureusement, Jésus ma parlé et ça ma sauvé.
Jai entendu une voix : "Jean-Louis fais ça pour moi"
(Bizarrement sur la croix cétait un mec, mais la voix c était une femme)
Fais ça quoi ?
"Jean-Louis fais ça pour moi" quil elle a répété la voix.
Jai pas cherché à comprendre pourquoi une voix de femme et jai pissé au pied de lhomme en croix.
Et je suis reparti à quatre pattes total bourré chevalier à travers les ronces et le parking de lEuromarché vers les flonflons de la fête de merde.